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Politique

Lettre ouverte de Bertrand Zibi Abeghe à la Directrice Afrique du Service européen : « venez voir, je vous en supplie, comment le grand défenseur des droits de l’Homme traite son peuple… »

IMG Bertrand Zibi Abeghe, prisonnier politique.

De la prison centrale où il est en détention,  Bertrand Zibi Abeghe multiplie ces derniers mois les lettres ouvertes à l’endroit de la communauté internationale.  Le 20 juin dernier, le prisonnier politique a envoyé une missive à  Rita Maria Figueiras Henriques Laranjinha,  directrice Afrique du Service européen pour l’action extérieure. Ce, en prélude à la visite de cette dernière au Gabon.   Lecture.

 

Prison centrale de Libreville, le, 20 juin 2021

Objet : Votre visite au Gabon

 

Excellence Madame la Directrice,

Je vous écris cette lettre, du fond de ma cellule, à la Prison Centrale de Libreville d’où j’ai appris que vous alliez effectuer une visite de travail à la tête d’une importante délégation de l’Union européenne, partenaire privilégié de mon pays, le Gabon.

Je suis Bertrand Zibi Abeghe, prisonnier politique gabonais, Américain qui croupit, depuis bientôt cinq ans, dans les geôles insalubres de la Prison centrale de Libreville, par ordre du dictateur sanguinaire et despote Ali Bongo Ondimba.

En effet, Madame la Directrice, j’ai été arrêté au petit matin du 1er septembre 2016, après la longue nuit du bombardement du QG de campagne du Président Jean Ping. Bombardement qui avait fait plusieurs morts.

J’ai été sauvagement torturé à plusieurs reprises et jeté en prison. De faux motifs ont été inventés pour me condamner.

Une arme a été déposée, cachée et trouvée dans mon chantier par deux agents de la DGR (Direction générale des recherches) par les Sieurs Mathieu Leyinga alias Malone et Darel Nze.

 

Un criminel notoirement connu du grand banditisme au Gabon, Sieur André Kemebiel alias Fiston, vendeur de cocaïne, multirécidiviste dans le braquage à main armée, vol avec violence et plusieurs fois prisonnier, a été instrumentalisé par la Présidence de la République, pour m’accuser d’une histoire digne d’un film. Malgré tous les témoignages, qui me disculpent, et connaissant cet individu, ni de près ni de loin, j’ai été condamné à une très lourde peine de prison de six ans. Six ans de ma vie qui me sont volés par ce régime cruel, sanguinaire, despote, sans foi ni loi.

A la Prison centrale de Libreville, j’ai été plusieurs fois torturé en présence du Général Paul Mitombo à l’époque Directeur de la Prison.

 

Excellence Madame la Directrice,

Au moment où vous allez fouler la terre de nos ancêtres, le Gabon, permettez-moi, au nom d’Akoma Mba, Wongo, Nyonda Makita, Mbombé Agnangué ; de nos martyrs : Capitaine Charles N’Tchoréré, Dieudonné Pascal Ndouna Okogo, dit Ndouna Dépenaud, Martine Oulabou Mbadinga, Doukakas Nziengui Moukwati, Lieutenant-Colonel Jean-Marie Djoue Dabany, Bruno Georges Mboulou Beka, Colonel Alphonse Layigui Obeye, André Mba Obame, Général Léon Ossiali Ongaye, Pierre Mamboundou Mamboundou, Capitaine Alexandre Mandza Ngokouta, Aïssa Toulekima, Germain Mba et tous les autres tombés sous les balles de la tyrannie qui gère le Gabon, depuis plus d’un demi-siècle, et en mon nom propre, de vous souhaiter la plus cordiale bienvenue à vous-même et à toute la délégation qui va vous accompagner.

 

Madame la Directrice,

Le Gabon est, totalement, paralysé depuis la dernière élection présidentielle de 2016 ; élection qui a atteint un tel degré de violence que notre pays n’avait jamais connu de toute son histoire.

Le régime autocratique du Gabon dépense à tout vent d’importantes sommes d’argent, pour payer à travers le monde de puissants groupes de lobbies, afin de se donner une image respectable. La réalité est tout autre. Vous avez l’occasion de voir de vos propres yeux, la réalité atroce de ce pouvoir inique et violent.

C’est pour cette raison que je vous interpelle, solennellement, au nom du peuple gabonais, meurtri et tétanisé par la peur de tout faire, pour que vous puissiez, pendant votre séjour, visiter la Prison centrale de Libreville, qui est un « mouroir ».

 

Le gouvernement gabonais se targue de respecter les Droits humains, d’être un gouvernement démocratique et respectueux des valeurs des droits de l’Homme. Voilà l’occasion pour vous de vérifier tout cela.

Excellence Madame la Directrice,

Vous ne devez, en aucun cas, vous arrêter dans votre hôtel de luxe cinq étoiles et vous contenter des audiences à la Primature, au Palais présidentiel du Bord de mer et autres bureaux et salles de conférences…

 

Vous devez, absolument, par respect pour le peuple gabonais, vous rendre dans nos quartiers, couramment appelés « mapanes », qui ressemblent à des champs de ruines. Vous devez tout faire, pour vous rendre à Kinguélé, à Atsibi-Ntsos, à Cocotiers et dans tous nos « madouakas », qui nous servent de lieux de résidence. Vous verrez, de vos yeux, comment un pays immensément riche comme le Gabon, avec à peine deux millions d’habitants, croupit dans une misère absolue. Où va l’argent de notre beau pays ?

 

Pourquoi, même après plusieurs décennies de confiscation du pouvoir par la famille Bongo Ondimba, rien ne change dans notre pays ? Pourquoi sommes-nous aussi pauvres dans un pays aussi riche ? Je déduis simplement que la famille Bongo Ondimba se sert volontiers de nos deniers publics, pour s’acheter des châteaux, des propriétés somptueuses, des avions et remplir des comptes bancaires à travers le monde avec l’argent du peuple gabonais.

 

Excellence Madame la Directrice,

La Prison centrale de Libreville est le reflet de la société qui met en exergue le respect des droits de l’Homme. Eu égard au constat fait, vous vivrez la triste réalité. Le peuple gabonais, par ma voix, vous invite à visiter la Prison centrale de Libreville. Une seule recommandation, faites-vous accompagner, par une ambulance et un réanimateur, parce que je suis sûr que quelqu’un fera un malaise à cause de ce que vous verrez :

  • Venez voir, à la Prison centrale de Gros-Bouquet de Libreville, comment un être humain est réduit à un état animal.
  • Venez voir des fous en prison et non dans un asile psychiatrique.
  • Venez voir des êtres humains mangeant des excréments.
  • Venez voir comment plus de 760 personnes sont parquées dans un espace de 40 m2 (seul Adolf Hitler avait fait pareil dans les camps de concentration nazis)
  • Venez voir 760 personnes qui utilisent une seule toilette.
  • Venez voir comment une cuisse de poulet est servie à trois personnes avec un pain comme seul et unique repas de la journée.
  • Venez voir comment les prisonniers boivent l’eau des égouts.
  • Venez voir des êtres humains « zombifiés », comme dans le clip très célèbre, thriller de Michaël Jackson.
  • Venez voir comment une simple grippe tue un être humain.
  • Venez voir comment des personnes atteintes du VIH-Sida sont traitées avec du paracétamol.
  • Venez voir le terreau de l’injustice, d’autant plus qu’un voleur de poulet passe dix ans de prison ferme, tandis qu’un assassin est libéré après trois mois.
  • Venez voir comment certains matons agissent et se comportent en toute impunité contre les détenus ; pouvant, d’ailleurs, fracasser l’un d’entre eux sans craindre d’être poursuivis ou jugés.
  • Venez voir comment l’être humain cuit au soleil.
  • Venez voir comment la Police et le Tribunal de Libreville défèrent des prisonniers avec des balles de fusil dans le corps. Ici, à la Prison centrale de Libreville, ces balles de fusil sont extraites du corps de chaque prisonnier à l’aide d’un couteau chauffé au feu par d’autres prisonniers. Pas besoin d’hôpital.

 

J’affirme haut et fort que plusieurs personnes à la Prison centrale de Libreville sont mortes sous l’effet de la torture, à l’exemple du détenu Olimbo torturé à mort. J’ai, moi-même, été, plusieurs fois, torturé, à la Prison centrale de Libreville en présence du Général Paul Mitombo à l’époque Directeur de la prison.

 

J’affirme également que plusieurs prisonniers sont morts dans la nuit du 31 août 2016 à la Prison centrale de Libreville, après l’annonce des résultats du vote de la présidentielle. L’armée avait tiré à balles réelles sur des détenus civiles à mains nues. Les prisonniers s’étaient soulevés à l’annonce des résultats, comme le reste de la population civile à travers le pays.

 

Le détenu Akambia avait reçu une balle, qui avait broyé son bras. Aujourd’hui, il est paralysé de ce bras. Plusieurs autres ont également reçu des balles. Depuis mon incarcération à la Prison centrale de Libreville, le 13 septembre 2016, j’ai fait le décompte macabre de 73 morts. Aucune enquête n’a été ouverte à la suite des événements du 31 août 2016 en prison.

 

Excellence Madame la Directrice,

Je vous prie de venir toucher du doigt. Venez être comme saint Thomas. Ne dit-on pas qu’une image vaut mille mots ? Voilà l’occasion en Or, qui vous est offerte de pouvoir voir de vous-même.

A la Prison centrale de Libreville, il n’y aura pas de lobbies, ni des discussions de bureaux, mais des faits palpables.

Je vous attends Excellence, avec impatience. Excellence, vous devriez être accompagnée de la commission des droits de l’Homme, de la société civile et du gouvernement gabonais, afin que nul n’en ignore. L’heure de vérité a sonné.

Ali Bongo Ondimba paie, avec l’argent du contribuable du peuple gabonais, qui croupit dans la misère la plus absolue, des groupes de lobbies à travers le monde, pour se donner une image respectable.

 

Mesdames et Messieurs de l’Union européenne,

Hommes civilisés, venez voir, je vous en supplie, comment le grand défenseur des droits de l’Homme traite son peuple. L’heure, pour l’Union européenne, est venue de regarder sans complaisance ce régime cruel, sanguinaire et tyrannique, qui tue et pille sans vergogne le peuple gabonais, depuis trop longtemps.

J’ai vu, à la Prison centrale de Libreville, des exécutants de crimes rituels et de tueurs notoires ne faire que quelques jours de détention et être libérés par leurs commanditaires.

Lors d’un de mes entretiens avec le défunt Président Nelson Mandela, il m’avait dit que la justice était la chose la plus difficile au monde. Depuis maintenant cinq ans, je le vis au quotidien.

 

Excellence Madame la Directrice,

Vous êtes issue d’un beau et grand pays, le Portugal que j’ai eu la chance de visiter. Chez vous, j’ai vu un peuple debout, une démocratie vivante et un peuple qui a son destin en main. Pourquoi le Gabon, mon pays, ne serait-il pas une démocratie comme la vôtre ?

 

Excellence Madame la Directrice,

Vous portez le prénom d’une grande sainte, la « Sainte Rita ». Cette dernière, qui a vécu une vie de miséricorde, d’amour du prochain, a terriblement souffert. Aussi a-t-elle soigné des malades. D’ailleurs, son nom est invoqué pour guérir les grands malades.

Nous aussi, à la Prison centrale de Libreville, nous vous prions d’être du côté des opprimés, des personnes qui se battent pour la vérité et du peuple gabonais en général qui n’a que trop souffert de la dictature sanguinaire, cruelle et sans cœur de la famille Bongo Ondimba qui règne sur le Gabon sans partage, depuis trop longtemps.

 

Nous souhaitons que l’Union européenne, partenaire stratégique du Gabon, nous aide à construire notre vivre-ensemble dans l’Union, la Concorde et surtout le Respect de l’être humain. L’Union européenne doit être moins complaisante envers le régime gabonais.

 

Nous voulons un partenariat gagnant, basé sur les valeurs démocratiques de justice, de respect des droits de l’Homme, des droits inaliénables de notre souveraineté, du respect du vote des Gabonais, du partage équitable de nos richesses et surtout de la bonne gouvernance. Le peuple gabonais a besoin de l’Union européenne comme l’Union européenne a elle aussi besoin du peuple gabonais.

 

Dans l’espoir de vous voir durant votre séjour au Gabon à la Prison centrale de Libreville, je vous souhaite à vous-même et à toute la délégation, qui vous accompagnera, un excellent séjour parmi nous sur la terre bénie de nos ancêtres le Gabon.

 

Que Dieu miséricordieux veille, éternellement, sur notre pays le Gabon.

Bertrand Zibi Abeghe, citoyen gabono-américain,

Mone Essabdzang, Ya Bouth-Engasse,

Mone Ngoane Essaboak, Ya Momo,

Affectueusement appelé gnamoro, ivounda, ndjim,

ndombaba, okoulou, djdji, ndoss, nkoukouma, répé,

dibal, l’as des as, nzambe

 

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