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Tribune libre : « Agence nationale des Grands Travaux : Chronique d'une cacophonie annoncée… »

IMG Jean Valentin Leyama

Face aux tribulations que connaît cette agence depuis quelque temps, je partage ici une tribune publiée dans un organe de presse de la place en... mai 2012 ! Je Vois Loin !

(*) Par Jean Valentin Leyama

 

 

 

La polémique suscitée par le rôle dévolu à l'Agence Nationale des Grands Travaux (ANGT) mérite qu'on y revienne afin de se fixer des idées-clés, on l'espère, en toute objectivité sur le débat parlementaire qui a prévalu lors de sa création et le lancement de ses activités.

Malheureusement pour notre démocratie et à la différence d'autres pays, le règlement du Parlement gabonais prescrit le huis clos lors des débats en commission. Et c'est dommage. Le peuple aurait été mieux édifié sur les grands enjeux du pays.

 

Pour mémoire, la controverse actuelle sur cet organisme a eu la même intensité lors de la présentation et l'examen en 2010 de l'ordonnance qui l'a créé, entre les députés membres du groupe PDG, et les autres députés, lesquels ont soulevé plusieurs exceptions, objets des questionnements actuels.

 

Première exception : la présentation du texte. On aura remarqué pour s'en interroger que l'ordonnance créant l'ANGT n'a pas été présentée et défendue par le ministre en charge des infrastructures mais…par le ministre chargé des relations avec les institutions constitutionnelles ! Ce qui était certainement révélateur des divergences apparues au sein du Gouvernement sur cette question. Le Premier Ministre avait probablement voulu épargner au ministre des infrastructures la gêne de soutenir un texte qui visait précisément à restreindre son champ de compétence.

Deuxième exception : la question institutionnelle. Peut-on placer des services personnalisés de l'Etat sous la tutelle directe du Président de la République ? Les articles 8 et 28 de la Constitution relatifs respectivement aux compétences du Président de la République et du Gouvernement donnent une réponse sans ambiguïté à cette question : c'est non.

 

L'article 8 dispose, entre autres, que le Président de la République (…) "assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l'État".

L'article 28 dispose quant à lui que le Gouvernement conduit la politique de la nation en concertation avec le Président de la République devant lequel il est du reste responsable. Le Gouvernement dispose à cet effet de l'administration et des forces de défense et de sécurité.

Par conséquent, la tutelle directe du Président de la République confère à ce dernier une position de juge et partie, rend complexe l'exercice de son rôle d'arbitre et de contrôle.

Il faut dire qu'en cette matière, il existe déjà un précédent : l'Agence nationale des parcs nationaux (ANPN) rattachée elle aussi à la Présidence.

 

Il en résulte, contrairement à ce qui a été affirmé, que la gestion de l'ANGT échappe de fait au contrôle parlementaire. En effet, même si la Constitution assigne au Parlement, entre autres, le contrôle de l'action du pouvoir exécutif (article 36), en pratique ce contrôle ne s'exerce que sur le Gouvernement, à travers les interpellations ou le suivi de l'exécution des budgets ministériels et épargne les institutions. Des tentatives ont été suggérées en vue du contrôle par les parlementaires de leur propre institution, la charité bien ordonnée, puis du contrôle de la gestion des deniers publics affectés aux autres institutions : Présidence, Cour constitutionnelle, Cours judiciaires, etc. Elles se sont heurtées à la ferme hostilité du parti majoritaire.

Les crédits de l'ANGT comme ceux de l'ANPN étant inscrits dans le budget de la Présidence, il faudra une volonté politique fortement affirmée pour que ces fonds soient auscultés par le Parlement ou la Cour des Comptes.

 

Troisième exception : les missions de l'ANGT. Le Ministre en charge des relations avec les Institutions constitutionnelles avait eu toutes les peines du monde à convaincre les députés que l'ANGT ne supplantera pas les TP. Officiellement, l'ANGT était chargée de la gestion des chantiers prioritaires arrêtés par le Chef de l'Etat. Mais ni le contenu ni la liste des chantiers prioritaires ne sont pas définis dans la loi. Il ne faut donc pas s'étonner des conflits de compétence qui apparaissent de manière patente aujourd'hui et que même l'opinion perçoit d'autant que le spectre légal d'intervention de l'ANGT s'élargit de jour en jour : maître d'ouvrage délégué, maître d'œuvre des études et des travaux, organe de contrôle et désormais administrateur des crédits du budget d'investissement, comme on peut le constater dans la loi de finances.

 

On avait pensé que l'ANGT ne s'occuperait que des mégaprojets transversaux d'infrastructures, on constate que c'est désormais un maître d'ouvrage universel : routes, ouvrages d'art, construction de salles de classes, des amphithéâtres, restructuration de la SOGATRA et demain ? Que reste-t-il désormais aux départements ministériels ? Sur quels éléments jugera-ton l'action du Gouvernement ? N'y a-t-il pas un risque de voir les ministres dégager leur responsabilité dans la conduite des projets de leurs départements et dont la réalisation permettra d'apprécier leur action ?

 

Par ailleurs, l'intervention a posteriori de l'ANGT sur des chantiers lancés avant sa propre création soulève des difficultés juridiques énormes (CAN 2012, échangeurs, aménagement routier).

Comme on peut le lire sur les grands panneaux indicateurs au début et à la fin de chaque chantier, ces marchés qui lient l'Etat aux opérateurs économiques prévoient comme maître d'ouvrage, le ministère des infrastructures et comme maître d'œuvre en étude et en travaux les directions générales de ce département ministériel et comme instance de contrôle une mission conjointe composée d'un bureau d'études indépendant, du Laboratoire des Bâtiments et des Travaux Publics (LBTPG) et des ingénieurs des TP.

 

Il en résulte qu'avec "l'intrusion" de l'ANGT, non partie aux marchés concernés au moment de leur signature mais "revêtue" du sceau de la Présidence, les opérateurs du secteur ne savent désormais plus qui des TP ou de l'ANGT décide, les ordres des uns succédant aux contre-ordres des autres, laissant les fonctionnaires chargés de ces questions désemparés ou résignés. Si une clarification n'intervient pas rapidement par la définition de procédures strictes et acceptées de tous, il faut craindre la paralysie dans un secteur du BTP stratégique pour le développement du pays.

 

La question des compétences de l'ANGT se pose dans une moindre mesure dans les mêmes termes que celles de l'Agence des parcs nationaux. Le rattachement de l'Agence des parcs nationaux à la Présidence prive les départements ministériels concernés, à savoir les Eaux et Forêts, l'Environnement et le développement durable ou tout simplement, celui du Tourisme d'un instrument chargé de mettre en œuvre la politique du Gouvernement en matière de protection de la nature ou de promotion de l'écotourisme.

 

Dernière exception : le budget de l'ANGT, plus de 30 milliards sous forme de subvention ! Cette question a été soulevée lors de la discussion budgétaire. Que recouvre cette somme : le fonctionnement courant, les honoraires, les études ou les travaux ?

La lecture des lois de finances 2011 et 2012 révèlent que les projets suivis par l'ANGT font l'objet de budgets spécifiques tant en études, en travaux ou en contrôle. On en conclut que les 30 milliards, c'est pour le fonctionnement.

 

Lorsque les députés du groupe PDG de la XIIè Législature - dont plus de la moitié ont siégé lors de la législature précédente - interpellent le nouveau Premier Ministre sur le rôle de l'ANGT alors que deux ans auparavant, les mêmes s'étaient mobilisés comme un seul homme pour rejeter tous les amendements de l'Opposition, votant ainsi le texte "sans amendement", au motif qu'il fallait donner au nouveau chef de l'Etat "les moyens de mettre en œuvre son programme", il y a lieu de s'inquiéter sérieusement du fonctionnement des institutions dans notre pays.

 

 

(*) Expert économiste et financier

Ancien Député (XIè Législature)"

 

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