IMG-LOGO
Accueil Article Tribune libre de Serge Maurice Mabiala : « De la nécessité du respect de la Loi »
Politique

Tribune libre de Serge Maurice Mabiala : « De la nécessité du respect de la Loi »

IMG Serge Maurice Mabiala, député de Mouila.

Le député de la 1ere circonscription de la commune de Mouila, Serge Maurice Mabiala vient de signer une tribune libre dans laquelle, il explique son opposition à l’opération de « manutention et de logistique caritative » telle que sollicitée par Nourredin

À l’écoute de nos compatriotes qui sollicitent des clarifications de leurs élus sur la situation que traverse notre pays aujourd’hui, je prends la parole pour tenter d’y répondre, en toute humilité et avec prudence. D’ores et déjà je vous prie de bien vouloir excuser toutes mes erreurs d’analyse et me corriger pour la compréhension de tous, afin que nous affrontions, dans la concorde, les périls qui menacent notre pays.

 

Dans une curieuse correspondance récente, il est demandé au Président de notre Assemblée nationale, d’apporter son concours, en mobilisant les élus de son institution pour l’accomplissement d’une œuvre de charité, visant à limiter les souffrances de nos compatriotes, induites par la mesure de confinement décrétée  en réponse au Covid-19. Dans la forme et le fond, cette lettre suscite l’étonnement quand elle n’inquiète pas, tant elle semble exprimer une confusion dans les rôles et une omission des principes de droit. Une étrange confusion qui soulève des remous et, autant le dire, une tempête de chuchotements, jusque chez les taiseux du terroir.

 

Je voudrais pour ma part rappeler cette célèbre citation de Charles Louis de Secondât, célèbre philosophe des lumières plus connu sous le nom de Montesquieu : " C'est une expérience éternelle que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser : il va jusqu'à ce qu'il trouve des limites [...] Pour qu'on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir. " (De l'esprit des lois, IX, VI).

 

Par cet énoncé, Montesquieu pose le principe de la séparation des pouvoirs. Ce principe vise un objectif précis : répartir les compétences entre les gouvernants et aménager rationnellement l'exercice du pouvoir. Le principe précité repose sur l'idée que le monopole de l’autorité, secrète les abus et l’arbitraire et constitue un danger pour les gouvernés. Le morcellement des prérogatives de puissance politique entre les organes distincts permet d’y remédier.

 

Ainsi,  le pouvoir est fragmenté sur une distinction tripartite des fonctions de l'État : la fonction législative, la fonction exécutive et la fonction juridictionnelle. L'autorité qui fait la loi, n'est pas habilitée à l'appliquer, et la fera nécessairement générale et impersonnelle. L’autorité qui l'applique, n'a pas la qualité pour la faire, et ne sera pas tentée de fixer la règle au moment de son exécution. L’autorité compétente pour juger, elle,  sera impartiale puisqu'elle statuera en vertu d'une loi qu'elle n'a point faite et qu'elle ne peut modifier.

 

Montesquieu nous enseigne ainsi que dans l’exercice du pouvoir d’État, l’intervention de plusieurs autorités garantit l’efficacité d’une décision et bride l’arbitraire.

Le régime constitutionnel qui est le nôtre proscrit l’arbitraire. Il est fondé sur le principe de la séparation des pouvoirs, quoique les récentes évolutions de la loi fondamentale ne rassurent pas. C’est ce principe qui me paraît avoir été violé. En effet, les prérogatives du Président de la république et celles de l’Assemblée nationale sont clairement fixées par la Constitution. En aucune façon ces deux institutions ne peuvent sortir du champ de leurs compétences. Que le Président de la république en vienne à demander au Président de l’Assemblée nationale de mobiliser son institution dans le cadre d’une activité caritative, apparaît comme une étonnante pratique contra legem qui engendre des remous dans l’opinion…chacun rappelant les missions de l’assemblée nationale : voter la loi, consentir l’impôt et contrôler l’action du gouvernement. Comment cette dernière pourrait-elle donc être impliquée dans l’accomplissement d’une œuvre de charité fut-elle souhaitable et souhaitée ?

 

L’auteur de la lettre semble animé d’un grand souci d’équité dans la distribution des « kit alimentaires » destinés exclusivement aux populations défavorisées ou disons le clairement aux pauvres…Mais que sait-on réellement de la pauvreté ? En l’état actuel du droit de notre pays et des études menées par des experts sur la question de la pauvreté, quels sont les critères d’identification nous permettant de saisir cette réalité?  Qui est pauvre et qui ne l’est pas dans notre pays en 2020? Existe-t-il des critères économiques, sociologiques ou autres ... ? Quel est le taux de pauvreté dans la population en général ? Et suivant quels pourcentages, la pauvreté est-elle distribuée sur l’échelle des catégories socio-économiques ? Qui des jeunes, des femmes ou des hommes sont les plus affectés par ce phénomène ? Qui dans notre pays est riche ? Comment les identifie-t-on ? Il me semble qu’un diagnostic crédible de la pauvreté est toujours attendu dans notre pays. Il permettrait de mesurer à sa juste valeur, la pertinence de la générosité caritative de d’aucuns.

Mais revenons à la raison. En considérant quand bien même que la représentation nationale peut être curieusement instrumentalisée dans cet élan de solidarité, quelle garantie d’efficacité apporte-t-elle ? Est-ce que la maîtrise du fichier électoral par un élu, donne à ce dernier une parfaite connaissance de la cartographie de la pauvreté dans sa circonscription? 

 

En l’absence de données statistiques officielles et fiables, il est à parier que les députés, comme les maires, qui côtoient les populations sur leurs sièges aperçoivent la pauvreté, plus qu’ils ne la voient et encore moins ne la vivent…et en cela je ne fais pas exception, « who feels it knows it » comme diraient les anglo-saxon...

 

Par conséquent, nous pouvons nous demander sur quels critères, le tandem député-maire pourrait garantir une répartition équitable des dons en toute neutralité affective, sous la pression conjuguée de leur clientèle ethnico-tribale et le souci de leur réélection ? C’est omettre que sous nos latitudes, le vote est gouverné par des considérations partisanes et, surtout, fondamentalement communautarisé. Comment ce tandem, pourrait économiser une opération de charme à l’endroit de ses partisans? Comment vaincrait-il son parti-pris affectif et assumé pour assurer une distribution équitable au profit de tous ? Croire en cela c’est méconnaitre les réalités du terrain politique  ou, au vrai,  masquer un dessein inavoué qui ne leurre personne…tous les députés savent décrypter les manœuvres politiciennes…nul n’est naïf...

 

Par ailleurs, il nous faut bien voir que ce souci d’équité, ne recouvre pas l’exigence de justice. La justice renvoi à l’égalitarisme quand l’équité cherche à atteindre le point le moins éloigné de l’équilibre, l’optimum, ainsi que le dirait les économistes savants.  Il vient donc que l’équité comprend sa part d’injustice. Mais qui accepte l’injustice ? Et, faute de cadre légal, devant quelle juridiction les populations lésées, exerceraient-elles leurs recours pour demander réparation des préjudices subit au terme d’une répartition jugée inéquitable selon elles ?

 

L’action des pouvoirs publics se déploie dans un cadre légal et réglementaire.

 

S’il venait aux mécènes l’idée de mobiliser les services territoriaux de l’État, bientôt ceux-ci rencontreraient les pires difficultés, car le principe d’égalité fait pièce à tout traitement discriminatoire des citoyens. De fait, comment les fonctionnaires de la préfectorale procéderaient-ils pour assurer une distribution « équitable et éthique » des dons ? Sur quels critères ? Comment donc assurer l’application du principe d’égalité au bénéfice de tous devant la générosité du mécène faute de cadre légal ?

 

De quel droit se prévaudraient les intéressés pour solliciter le bénéfice des dons promis ? Quel recours exerceraient-il pour exiger réparation des « discriminations » subies ? Encore une fois devant quelles juridictions ? Quelle réponse à apporter aux populations d’Essassa qui ont érigé des barricades sur la nationale 1, prétextant la négation de « leurs droits »…quels droits ? Doit-on comprendre que la seule parole du président fait droit dans notre pays ?

 

Dans la composition du gouvernement, un ministère est dédié au développement des solidarités, l’exposé des axes majeurs de l’intervention publique dans le cadre de cette politique est toujours attendu.

 

Pour ma modeste part, je vois que le Président de l’Assemblée nationale est désormais placé seul devant sa conscience patriotique, seul devant sa responsabilité institutionnelle et seul devant les gabonais qui tournent leurs regards vers lui.

 

Ils ne seront pas seuls, qu’il ait bien à l’esprit que toute la communauté internationale  retient son souffle… en attendant sa décision. Ce sera son honneur, sa bravoure et sa responsabilité devant l’histoire que de défendre son institution et garantir le respect de l’esprit des lois et des valeurs républicaines, seuls à même de garantir le primat de l’intérêt général, la justice, la liberté et la prospérité pour tous dont ont soif les gabonais…

 

Profondément convaincu qu’on ne construit pas un pays sans lois ni règles. Profondément convaincu, que seul le respect des lois, des règlements et des valeurs de la république garanti la justice, la liberté et la prospérité pour tous, en tant que député,  je ne foulerai pas au pied l’esprit des lois de mon pays ni les prescriptions des règlements en vigueur, pas plus que je ne violerai les dispositions du règlement de l’Assemblée nationale, au sein de laquelle je siège, au nom et dans l’intérêt du peuple gabonais et, au nom particulier, des populations de la 1ere circonscription de la commune de Mouila, qui m’ont confié un mandat et devant lesquelles je suis comptable, fut-ce t-il dans un souci vertueux de solidarité.

 

Que cela soit bien compris, je ne donnerai aucune suite à aucune instruction (?) visant à impliquer l’institution au sein de laquelle je siège, dans une opération de manutention et de logistique caritative. Non…

 

En revanche, je salue et soutiens pleinement les actions de charité de tous les mécènes quels qu’ils soient et d’où qu’ils viennent, au profit de nos populations défavorisées, dans toutes les circonscriptions politiques de notre pays. Pour assurer la pleine efficacité de leur action et de leur engagement patriotique qui est leur mérite et leur honneur, je propose aux généreux donateurs de prendre appui sur les corps intermédiaires, véritables « institutions de l’interaction » ainsi  que le dirait P. ROSANVALLON.

 

Afin que leur générosité, mal opérationnalisée, ne devienne pas source d’empoignades dégradantes, de discrimination, d’injustice, de tension et finalement de division, au moment où nous devons être tous unis pour affronter notre ennemi commun, le Covid-19, je leur suggère d’encadrer par des dispositions conventionnelles, les liens de partenariat avec lesdits corps intermédiaires, afin de sécuriser leur solidarité et entraver les dérives discriminatoires.

 

Du reste et pour finir, s’il est incontesté que le confinement aggrave la précarité, il est tout aussi vrai, que les populations et les services d’urgence  sont toujours en attente des matériels de protection et des équipements de soins critiques en nombre conséquent pour endiguer et, le cas échéant, sauver la vie des gabonais en détresse respiratoire.

 

Merci à tous.

Partagez:

0 Commentaires


Postez un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée. Les champs marqués * sont obligatoires