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Charles M' BA : « On peut, légitimement, se demander qui dirige ce pays aujourd’hui »

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Exilé en France mais pas réfugié politique ; inquiet de la situation politique du pays marquée par une énorme confusion qui tient selon lui au déplorable état de santé du président de la République, Charles M'ba, ancien ministre et ancien sénateur donne son appréciation de la situation politique du Gabon. La constitution est pitoyable et inacceptable. Il trouve scandaleux de demander à chaque Gabonais de rembourser à hauteur de 3.000.000 de francs l'encours d’une dette hors normes qui n’a servi pour l’essentiel qu’à financer l'enrichissement personnel des flibustiers de l'émergence. Lecture d’une interview accordée par l’ancien ministre à nos confrères du journal La Cigale Enchantée.

 

 

La Cigale Enchantée : Pour nos lecteurs, pourriez-vous nous donner un petit perçu de votre parcours politique ?

Charles Mba : J’ai été le dernier ministre délégué aux Finances du président Omar Bongo jusqu’à juin 2009, puis du gouvernement de la Présidente Rose ROGOMBE. Remercié en octobre 2009 comme cela était prévisible dès le mois de juin, j’ai regagné mon siège de sénateur, jusqu'en 2015. J’ai ensuite formellement démissionné du PDG, puis rejoint l'opposition et la campagne victorieuse de son candidat, Jean PING. Le monde politique et l'opinion publique connaissent le tribut que ma famille, comme beaucoup d’autres, a payé à l’occasion des événements du 31 août 2016. Je ne suis donc pas installé en France pour des raisons de confort personnel. J’y ai passé plus de la moitié de ma vie. J’y ai fondé ma famille. J’y ai fait l’essentiel de ma carrière.

 

Les raisons de cet exil forcé ?

Je ne suis  pas un réfugié même si je peux, valablement, invoquer les mêmes conditions périlleuses que ceux qui ont obtenu la protection de la France. Dans un système de règlement de comptes qui vise à réduire au silence l’opposition, museler voire « neutraliser » les adversaires, quelques rumeurs bien distillées et une justice globalement aux ordres vous soumet ! Il faut faire de son mieux et prendre des dispositions. L’exil, forcé ou volontaire, n’est pas un sujet agréable. Dans mon village, comme partout au Gabon, les coutumes enseignent que l’honorabilité tient à la manière dont on entretient son village et ses défunts. C’est franchement pénible de ne pas être en mesure de faire personnellement ce que je dois: assurer en personne la dignité des dernières demeures et les visiter ! Mais il faut ce qu’il faut ! Le combattant combat au poste où les circonstances le placent !

 

 Quelles observations faites-vous de la vie politique nationale de l’extérieur ?

 

J’observe une grande confusion. Je garde cependant l’espérance. La confusion tient à la crise électorale née de la confiscation armée du pouvoir en 2016, et à l’état de santé du chef illégitime de l’Etat. Cette confusion a fait perdre l’assurance et la confiance à nos adversaires, et généré une cacophonie qui ne permettent aucune gouvernance utile pour le pays. Les nouveaux flibustiers sont d’abord préoccupés par se prémunir contre des lendemains qui vont évidemment déchanter. La corruption endémique produits un enrichissement illicite ostentatoire jamais observé dans le pays. Plutôt que réduire notre dette, ce gouvernement vient de dépasser la limite admise. On s’installe dans la cavalerie : on emprunte pour rembourser des dettes ! Le taux d’endettement avoisine les 75% du PIB, au-delà des 70 % établis dans la zone CEMAC. Il n’était que de 19% en 2009. Notre dette atteint les sommets de 6 500 Milliards, et chacun de nos deux millions d’habitants déclarés, du nouveau-né au vieillard, devrait rembourser plus de 3.000.000 FCFA. Sans qu’on puisse valablement justifier une telle contrainte. La confusion tient également à l’état de santé visiblement déplorable du président illégitime. Et on peut, légitimement, se demander qui dirige ce pays aujourd’hui. Cette question fuse de partout, à l’intérieur comme à l’extérieur. Je l’entends dans tous mes déplacements et même de Libreville ! Et plus les montages télévisuels, les sorties folkloriques en voiture et les quelques dizaines de minutes d’audiences médicalisées augmentent les doutes, plus son entourage s’obstine à vouloir convaincre du contraire.

 

Le dernier discours à la Nation approfondit ce doute. Pas un mot sur l’actualité, rien sur la révision adoptée tambour battant par le Congrès quelques jours avant, rien sur la dégradation du tissu social, rien sur l’économie du pays de plus en plus marquée par un abusif recours à l’emprunt. Comment est-ce possible chez un président en pleine possession de ses capacités ? Que ceux qui dirigent réellement le pays aient enfin le courage de l’assumer !

 

Malgré tout cela, je garde l’espérance. Je constate l’extrême résilience de notre peuple. Les syndicalistes, les fonctionnaires et les chefs d’entreprises résistent. Les femmes, les mères de famille, les élèves, les étudiants, les enseignants, tous résistent. Nous devons continuer de nourrir cette espérance en choisissant de nous rassembler, de reconnaitre ce que nous devons à notre pays, de reconnaitre et de revenir sur les abus que nous avons pu commettre. De taire ce qui nous divise de façon subalterne pour nous appuyer sur ce qui nous réunit dans la grandeur humaine : notre sort commun et l’avenir des générations futures. Nous devons faire ce sacrifice-là si nous voulons que les Gabonais se parlent, si nous voulons éviter un naufrage collectif.

La dernière révision constitutionnelle vient-elle renforcer vos craintes de voir le pays sombrer ?

 

 Cette révision est pitoyable et évidemment inacceptable ! De plus, alors que le Gabon est embourbé dans une crise généralisée, ce que les flibustiers de notre république trouvent à proposer à la Nation, c’est une révision constitutionnelle ? M. Robert Dossou, un éminent constitutionnaliste, rappelle que la constitution, c’est « un concentré de l’histoire du peuple et la plateforme de ses espérances ». Qui aurait l’outrecuidance d’avancer que l’histoire et les espérances du peuple gabonais sont concernées par les modifications qui ont été opérées ?

 

Pour l’essentiel, il s’agit ici de régler les problèmes d’arrêt maladie d’un chef illégitime ! Une révision pro domo par le chef de l’Etat, le Parlement et la Cour constitutionnelle. Cette révision est construite pour l’impunité et la possibilité d’absences de longue durée pour le premier, l’impunité pour les parlementaires, l’impunité et le pouvoir formel de régence pour la présidente de la Cour constitutionnelle. Peut-on encore parler d’une séparation des pouvoirs quand l’Exécutif sollicite la Cour constitutionnelle pour décider et agir ? Quand un ministre des armées fait partie du collège présidentiel ? Nous ne sommes plus vraiment en république. C'est la monarchie de fait, c'est même la régence monarchique de fait. Avec la bénédiction d’un parlement établi sur un taux de participation si faible qu’il ne peut tenir lieu de légitimité sérieuse. A défaut de respecter la Nation, les uns et les autre pourraient se préoccuper de rester dignes !

 

Si en 2016, l’opposition gabonaise a donné espoir au peuple gabonais à travers la candidature unique,  quatre ans après, elle donne l’impression d’être  totalement désorientée, aphone et incapable de constituter une alternative credible?

 

 Ce n’est pas exact ! Notre opposition a démontré qu’elle sait se rassembler, elle l’a fait en 2009. En 2016, elle a gagné avec encore plus d’éclat ! Cette opposition a toujours été diverse et cela ne doit ni troubler, ni apeurer. C’est aussi le gage efficace de l’émulation, de la compétition, de la concurrence bénéfique pour la collectivité, pourvu que les règles soient saines et loyales. L’essentiel est que l’intérêt des Gabonais demeure au-dessus des désirs personnels. Mais, quelle est réellement la situation ? L’opposition actuelle a gagné l’élection présidentielle de 2016 et elle consacre une grande partie de son énergie à faire valoir les droits des Gabonais pour une alternance démocratique. Il faut faire cela ; malheureusement dans un contexte de recul de la démocratie, des libertés publiques, de rétrécissement de l’espace d’expression politique, de justice aux ordres, de chasse à l’adversaire, de fraude systémique. Un contexte alourdi par l’instrumentalisation de l’état d’urgence sanitaire.

 

Malgré tout, avec lucidité et courage, comme le démontrent les prises de position de ses rares élus notamment, ou des exilés, l’opposition garde le cap de l’exigence de l’alternance démocratique. Les Gabonais doivent continuer de soutenir massivement l’opposition au régime. Il en va de leur avenir et de l’avenir de notre pays. Le combat est certes inégal mais nous avons déjà la très grande majorité avec nous ; élargissons là ! Nous le pouvons parce que même nos adversaires admettent désormais, mezza voce, qu’il est temps de se mettre au travail de réparation de notre pays abimé par tant d’errements. Et cela pourrait aussi annoncer un aggiornamento !

 

Charles Mba sera-t-il candidat à la présidentielle de 2023 ?

 Votre question indique qu’une opinion certaine considère que l’expérience que je peux tirer de mon parcours, que ma pratique, mon action politiques et mes réalisations m’autoriseraient à songer à une telle aventure. Cette opinion est récurrente et je la reçois toujours avec gravité, humilité et reconnaissance. Personne ne pourrait se plaindre d’un tel compliment ! Il reste que la question de la candidature à l’élection semble constituer un facteur de division dans tous les camps.

 

Aujourd’hui, il nous faut d’abord nous rassembler. Pour nous parler, et aussi pour nous réconcilier comme certains le proposent. Quant à moi, je suis un citoyen gabonais libre, politiquement et très clairement engagé pour l’alternance démocratique et pour le développement du Gabon. Et pour cela, j’écoute, j’étudie, je réfléchis, et j’agis à ma place actuelle au milieu d’autres compatriotes. 2023? C’est quand même encore un peu loin.

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